En 1969, alors que je visitais la maison d'un historien de l'art
ainsi que son atelier de poterie, je remarquais un superbe coffret
de bois sur une table dans le living room, et je demandais ce
qu'elle pouvait contenir. Il répondit, "Vous pouvez
l'ouvrir, mais seulement sur le tapis". Dedans il y avait
un sac en tissu brodé qui une fois ouvert révéla
un bol à thé avec une glaçure blanche ayant
l'aspect du "caillé" (lait caillé) parcourue
de zones orangées comme sur le bol à droite de ce
paragraphe.
Bol, 9 cm de diamètre, Grès tourné avec glaçure
"Hank's Shino" refroidi normalement après une
cuisson en réduction à cône Orton 10.
Je suis instantanément tombé amoureux de cette beauté
vieille de 400 ans. Aussitôt après, je me mis avidement
à la recherche de musées détenant d'autres
exemplaires de ces pièces avec des glaçures Shino.
J'étais attiré par la richesse des variations de
couleurs et par la texture tourmentée des surfaces de ces
Momoyama-era originaux, et je voulais les reproduire.
J'ai employé deux recettes pour émailler mes reproductions
d'articles Shino. La couleur orange, que les Japonais appellent
"couleur de feu", était insaisissable jusqu'à
ce que je mette au point un four cloche en fibres en 1975. Avant
d'en mettre un dans mon atelier, j'avais déjà construit
une douzaine de ces fours, dont un pour l'école d'Artisanat
de Penland en Caroline du Nord. Ce four, avec son analyseur d'oxygène,
me permît un contrôle pointu de la température
et de l'atmosphère.
Malgré tout, même dans le nouveau four, la "couleur
de feu" était instable. J'ai supposé que la
réduction à cône 08 (voir la page sur la table
des cônes Orton) était trop tardive pour ces glaçures
fortement lithiques à fusion précoce. Lorsque j'ai
essayé la réduction plus bas à cône
012, de belles "couleurs de feu" sont apparues sur tous
les pots.
Différents effets sont obtenus en combinant les glaçures
Shino avec de l'engobe blanc, des oxydes brossés, de l'incrustation
de glaçure, de la glaçure "Pat's Black Beauty",
et un palier en oxydation à 980°C.
Cela à contenté quelques temps mon avidité
pour le Shino, mais par la suite j'ai commencé à
me demander si les Shinos les plus profondément colorés
de rouge ne pourraient pas être réalisés sans
l'aide de l'engobe habituel posé sous la glaçure.
Bien que beaucoup de choses aient été écrites
sur l'importance de la réduction des Shinos, je me suis
demandé si un palier en oxydation pourrait intensifier
la couleur. Ainsi, après une cuisson normale à cône
10 avec réduction, j'ai refroidi le four jusqu'à
cône 4, puis allumé à nouveau et maintenu
cette température en atmosphère oxydante pendant
cinq heures avant de reprendre le refroidissement. A l'ouverture,
le four était plein de Shinos rouge sang.
Enthousiaste, j'ai cuit à nouveau, en prélevant
dans le four des anneaux-test pendant la cuisson et ensuite au
refroidissement. Étonnamment ceux-ci n'ont présenté
aucune "couleur de feu" jusqu'à ce que le four
ait atteint au refroidissement la température de 980°C,
la couleur s'intensifiant au fur et à mesure de l'extraction
des anneaux. Fort de ces résultats, je savais que mes glaçures
pourraient donner toute une gamme d'effets, du blanc "lait
caillé" avec des rougissements "couleur de feu"
à entièrement rouge sang , juste en adaptant le
cycle de refroidissement pareillement comparable à une
partie active de la cuisson. Ni engobe, ni carbonate de sodium
n'ont été utilisés, mais seulement des variations
du taux d'oxydation après la phase de réduction.
Jarre à eau, 22 cm de haut, Grès tourné et
imprimé; et boîte à thé avec couvercle
en porcelaine et bouton en cinabre, le deux avec la glaçure
"Hank's Shino" cuits en réduction à cône
Orton 10, puis palier de 4 heures à 980°C en oxydation.
En 1994, J'ai rendu visite à Pamela Vandiver au laboratoire
du conservatoire de l'institut Smithsonien (à Washington),
où elle avait préparé des échantillons
de mes Shinos pour une analyse au microscope électronique
et une diffraction au rayons X. Bien que les résultats
soient déjà pour nous entièrement prévisibles,
nous avons su que la "couleur de feu" était juste
une couche de micro cristaux ferriques de 20 microns d'épaisseur,
flottant sur une glaçure blanche. Même les Shinos
sanglants étaient blancs juste sous la couche rouge extrêmement
fine, faisant penser qu'à l'usage une certaine abrasion
serait inévitable; cependant, nous avons utilisé
des assiettes rouges Shino sur notre table pendant 15 ans sans
problèmes.
Bol,
11 cm de diamètre, grès tourné et découpé
au fil avec glaçure "Hank's Shino" cuit à
cône Orton 10 en réduction, puis palier de 6 heures
à 980°C en oxydation.
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Plus
tard, j'ai essayé d'arrêter la réduction en
arrivant à cône 2, continuant en oxydation jusqu'à
cône 10, puis refroidissant lentement avec l'ouvreau fermé
jusqu'à ce que le four soit noir. Les Shinos résultants
ont à nouveau confirmé le fait qu'une importante
période d'oxydation finale suivant une réduction
modérée ou forte donne du temps au réseau
ferrique micro cristallin pour se former en surface et de produire
la "couleur de feu" caractéristique que les potiers
aiment tant.
Plats lobés, 15 cm de diamètre, Grès tourné
et lignes tracées avec "Pat's Black Beauty" sur
glaçure "Hank's Shino", cuits à cône
Orton 10 en réduction, puis refroidi à 1093°C
pour un palier en oxydation.
Des Shinos cuits au bois dans un anagama ont révélé
une plus large palette, étant donné que la haute
teneur en calcium des cendres volantes fait virer la teinte normale
de la "couleur de feu" vers des tons verdâtres
proportionnellement au dépôt de cendres. Une mise
en place judicieuse des pots dans l'anagama peut produire d'importantes
modifications de la teinte sur un même pièce. En
plus, j'utilise ma glaçure noire "Pat's black beauty"
pour donner du contraste, en le versant et en l'étalant
à la fois sur et sous les Shinos.
Photo montrant le verdissement de la glaçure Shino décolorée
par les cendres volantes à forte teneur en calcium lors
d'une cuisson au bois en Anagama.
Je travaille aussi avec des glaçures micro cristallines
mates pour réaliser des verts et des bleus de cuivre, des
jaunes de cuivre, des verts de cobalt-titane, et des noirs. De
même, toutes ces glaçures tirent grandement profit
d'un palier oxydant pendant le refroidissement. Un tel palier
au refroidissement permet à la glaçure de se dégazer
et de se napper, produisant de magnifiques surfaces ne coûtant
au potier que le prix d'une sieste.
Couleurs obtenues en cuisson oxydante à cône Orton
10 suivie d'un palier à 1093°C.
J'ai l'espoir que le récit de cette épopée
de mes 25 années d'apprentissage par tâtonnements
et avec un four unique en son genre transmettra la passion que
j'ai eue chaque jour en faisant mes pots Shinos.
Hank MURROW
Eugene, Oregon (U.S.A)
hmurrow@efn.org ou hank@murrow.biz
http://www.murrow.biz/hank |
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